2 février 2023 1376 mots, 6 min. de lecture

Comment les algorithmes (et Tik Tok) influencent la création de contenu

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Les algorithmes ont été accusés de nous enfermer dans une bulle de filtres. Mais j’ai la furieuse impression qu’ils provoquent également une bulle au niveau de la création de contenu. En mettant en avant certains contenus et en les rendant […]

Les algorithmes ont été accusés de nous enfermer dans une bulle de filtres. Mais j’ai la furieuse impression qu’ils provoquent également une bulle au niveau de la création de contenu. En mettant en avant certains contenus et en les rendant populaires, ils incitent certaines personnes à imiter ces contenus dans l’espoir de connaître le succès. Une mécanique qui s’éloigne des mécanismes de création « à l’ancienne ». Dans cet article je partage 3 formats de contenus qui ont une fâcheuse tendance à se multiplier.


On se retrouve rapidement dans une bulle de filtres alimentée par l’imitation de contenu original.


J’aime me perdre dans YouTube et découvrir de nouveaux contenus au gré des recommandations proposées par l’algorithme. La concurrence de Tik Tok et l’émergence des « Shorts » sur YouTube (souvent des copies de contenus Tik Tok d’ailleurs) ont vraiment changé la donne. Ces formats courts sont facilement réalisables et on voit émerger des « séries » où le créateur reproduit la même recette à l’infini. Lorsque ce format plaît aux internautes, l’algorithme les promeut et les fait découvrir à d’autres créateurs avides du même succès. On voit alors pulluler des imitations pures et simples, des reproductions à l’identique de la même « formule ».

Voici 3 exemples.

Si vous n’avez que 30 secondes

  • Tik Tok a popularisé un format de contenu très court et addictif
  • Les algorithmes de Tik Tok et de YouTube (Shorts) diffusent ce type de contenu à grande échelle
  • Les contenus les plus populaires sont imités. Les recommandations sont donc encombrées de contenus similaires.
  • La dynamique de création de contenu est donc influencée par les algorithmes et par le succès espéré de ce type de contenu. C’est une manifestation de la loi de Goodhart.

Daniel Mac et son « Your car’s awesome, what do you do for a living? »

Daniel Mac (de son vrai nom Daniel MacDonald) s’est fait connaître sur Tik Tok avec ses vidéos dans lesquelles il demande aux conducteurs de voitures de luxe ce qu’ils font dans la vie (« What do you do for a living ? »). Il est désormais suivi sur Tik Tok par 13,7 millions de personnes et a cumulé 295,8 millions de Likes sur ce réseau. Il est devenu lui-même millionnaire grâce à son succès.

Le concept des vidéos est absolument génial car il satisfait notre curiosité naturelle. Comment les conducteurs des Ferrari, Lamborghini et autres Rolls-Royce gagnent-ils leur argent ? Cette question captivante peut être posée à l’infini. Comme les voitures de luxe intriguent de nombreuses personnes et font partie de l’imaginaire collectif, l’audience de ces vidéos est très large.

D’autre YouTubers ont alors commencé à appliquer l’exacte même recette et à demander à des personnes arborant des signes extérieurs de richesse ce qu’elles faisaient dans la vie. L’algorithme m’a ainsi recommandé la chaîne de @Aviyah Tamir où les porteurs de montres de luxe sont soumis au même interrogatoire. C’est d’ailleurs assez gênant à regarder car on voit bien que certaines personnes voulaient justement passer inaperçues.

Crédits : @Aviyah Tamir via YouTube


Photographie de rue par David Guerrero

L’autre type de contenu qui a fait des émules, c’est celui popularisé par David Guerrero, un jeune photographe originaire d’Austin au Texas qui a trouvé un moyen très original de faire connaître ses talents. Il se filme en train de demander de faire des photos de personnes rencontrées dans la rue. Le schéma de ses vidéos est toujours le même :

  • Il aborde un(e) étranger(ère) dans la rue et lui demande s’il peut faire un portrait
  • Il se filme en train de réaliser la photo
  • Il retouche les photos et montre le résultat final (toujours très travaillé et bluffant)

Cela donne des capsules vidéo très courtes (40-50 secondes en moyenne) et très addictives.

Sa galerie de portraits sur Tik Tok donne un bel aperçu de son talent qui lui vaut d’être suivi par plus de 1,1 million de personnes sur YouTube et 1,4 millions sur Instagram. Ce succès lui vaut désormais d’être imité par d’autres créateurs de contenus qui appliquent le même script.

Tiko Tok Dgphotoholic

La page Tik Tok de David Guerrero. Credits : Dgphotoholic via Tik Tok

street photography Tik Tok

@dannydamianphoto reproduit la même recette que David Guerrero (@dgphotoholic) pour ses vidéos sur Tik Tok. @chinesedriver8536 a fait varier légèrement le script pour les siennes mais le principe reste le même.


Visite d’appartement

Le troisième format de contenu c’est la visite d’appartement. Comme dans les 2 cas précédents, le créateur de contenu aborde un(e) inconnu(e) dans la rue et lui demande le montant de son loyer. Une fois que le loyer est connu, la personne lui demande de visiter l’appartement.

Caleb Simpson a été le premier à populariser ce format et à rentrer avec culot dans l’intimité des New-yorkais. Comme pour d’autres créateurs, c’est à la faveur du confinement que son idée de contenu a germé. Comme dans les autres exemples que nous avons donnés, les vidéos sont toujours très courtes et suivent le même schéma :

  • Rencontre d’un(e) inconnu(e) dans la rue
  • Caleb lui demande de visiter son appartement
  • Visite de l’appartement

Certains « Shorts » sont même devenus des vidéos à part entière (voir ci-dessous).

Le succès de Caleb a été fulgurant puisqu’il est suivi par près de 2 millions de personnes sur YouTube. Ceci a bien évidemment fait des envieux et des formats similaires en tous points ont commencé à apparaître ici et là. @lecureuilmusic a reproduit le schéma à Paris (voir captures d’écran ci-dessous).

video shorts lecureuilmusic

Lecureuilmusic reproduit à l’identique la recette de Caleb Simpson. Crédits : @lecureuilmusic via YouTube


 

En conclusion

Les réseaux sociaux ont ceci d’extraordinaire qu’ils facilitent la création et la diffusion de contenus. Il n’a sans doute jamais été aussi simple de tester ses idées et se faire connaître. Les algorithmes de recommandation des différentes plateformes restent toutefois incontrôlables et le succès dépend malgré tout également du facteur chance.


Garder la paternité de la recette d’un contenu à succès est devenu aussi éphémère que le succès lui-même.


L’exposition aux yeux du plus grand nombre de ces contenus suscite des vocations. Les algorithmes inspirent indirectement la création et l’apparition de clones. Garder la paternité de la recette d’un contenu à succès est devenu aussi éphémère que le succès lui-même. On a d’un côté l’impression que le rythme de la création est toujours plus rapide, mais on assiste également à un certain « formatage » des idées. Si l’innovation résulte toujours d’un « mix » des idées antérieures, ce que je trouve préoccupant c’est cette tendance à user des recettes jusqu’à la corde sans les réinventer. On est littéralement dans le copier/coller. Et le pire dans tout ça c’est que l’algorithme vous recommande également les copies. On se retrouve rapidement dans une bulle de filtres alimentée par l’imitation de contenu original.

Alors bien entendu, sur le nombre de contenus créés chaque année, la diversité reste énorme et je ne me fais pas de souci pour la création. De la même manière que les bulles de filtres n’existent pas vraiment, je ne crois pas à l’émergence d’une bulle de contenus. Je crains beaucoup plus par contre que les algorithmes influencent les recettes de la création de contenu et qu’on voie toujours plus de contenus courts, sensationnels, … conçus pour capter une attention qui ne fait que baisser. Tout ceci ne peut aboutir qu’à des dérives et à des malheurs, comme on l’a déjà vu maintes fois lorsque des influenceurs cherchent à tout prix à faire le buzz.

 



Publié dans Recherche.

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