14 juin 2019 1179 mots, 5 min. de lecture

Belgian Data Alliance : les médias et telecoms belges contre les GAFA

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Google et Facebook sont les deux plus grandes plateformes publicitaires au monde et elles captent la plus grande valeur du marché de la publicité en ligne. Ce duopole capte la plus grande part de la valeur du marché de la […]

Google et Facebook sont les deux plus grandes plateformes publicitaires au monde et elles captent la plus grande valeur du marché de la publicité en ligne. Ce duopole capte la plus grande part de la valeur du marché de la publicité en ligne au détriment des opérateurs historiques. Les annonceurs déplacent en effet leur budget publicitaire des acteurs historiques (opérateurs télécoms, chaînes de télévision et de radio, etc.) vers les plateformes telles que Google et Facebook. Le pouvoir de négociation de ces dernières est tel qu’il fallait s’attendre tôt ou tard à une réaction du marché. C’est ce qu’il vient d’arriver en Belgique où a été annoncée hier la formation de la « Belgian Data Alliance », un regroupement de plusieurs groupes majeurs qui entendent offrir une alternative crédible aux deux géants américains. 
La Belgian Data Alliance est composée de Proximus, DPG Media (VTM, HLN, ….), Mediahuis (De Standaard, ….), VRT (radio-télévision publique belge néerlandophone), SBS (VIER), Telenet, Rossel (Le Soir), RTBF (radio-télévision publique belge francophone) et RTL Belgique.
Il ne s’agit sans doute pas de la première collaboration de ce type. Nous avons vu des alliances de plus petite taille entre des entreprises du même secteur, des collaborations internationales dans le monde de la radiodiffusion (comme celle entre SAT1, TF1 et Mediaset) mais ce type d’alliance centrée sur la publicité ciblée est une première au niveau national.

Objectifs de la Belgian Data Alliance

L’objectif de la Belgian Data Alliance (comme expliqué dans les articles du Tijd et de L’Echo qui ont été les premiers à révéler l’information) est de fournir une offre de publicité ciblée sur télévision numérique ainsi que sur les plates-formes en ligne. En Belgique, la majorité des dépenses publicitaires se fait encore en télévision. Le rapport annuel de la RTBF (publié également cette semaine) indique que la publicité numérique ne représente que 3% des 70,8 M€ de recettes publicitaires générées pour l’année 2018). L’espoir est évident formé par l’alliance est évident :
attirer plus de dépenses publicitaires de la part des marques en augmentant la crédibilité des membres de l’alliance dans ce domaine
vendre la publicité ciblée plus chère en promettant un meilleur retour sur investissement de l’investissement publicitaire

Aspects techniques du projet

La Belgian Data Alliance vise à partager les données dont disposent les membres sur leurs clients et utilisateurs afin de mieux comprendre qui ils sont, ce qu’ils aiment et ainsi mieux les cibler au niveau publicitaire. En d’autres termes, grâce au partage de données, les membres de la Belgian Data Alliance s’attendent à diffuser des annonces qui correspondent mieux aux profils et aux besoins de leurs utilisateurs respectifs.
Les données de première partie que les différents cabinets impliqués possèdent sur leurs clients sont probablement très riches. Il s’agit :

  • d’informations socio-démographiques (Proximus et Telenet disposent de données de première qualité sur ses clients grâce à la facturation de leurs services)
  • données de consommation

Telenet et Proximus ensemble apporteront probablement des données de qualité sur au moins 70% de la population belge (Telenet et Proximus couvrent presque 100% du marché flamand et VOO, qui n’a pas rejoint l’alliance, ne détient que 30 et 40% du marché wallon d’après l’IBPT).

Les sites web des médias partenaires de l’alliance sont susceptibles d’apporter des données de consommation pour près de 100% de la population belge. Les sites web impliqués dans l’alliance sont en effet régulièrement visités par tous les Belges.

Au final tout cela sonne donc comme un stratégie très bien réfléchie et pleine de sens.

Conclusion

Les objectifs de la Belgian Data Alliance sont tout à fait logiques d’un point de vue commercial. C’est aussi une question de souveraineté et de survie pour de nombreuses entreprises actives dans le secteur de la publicité. Rien qu’en Belgique, Facebook et Google arrachent 80% du marché publicitaire, dont la taille est estimée à environ 1 milliard d’euros par an. La réalisation du projet ne sera toutefois pas de tout repos.

Spécificités belges

Premièrement le potentiel de l’alliance doit être considéré en tenant compte des particularités belges. La partie francophone du pays est tout d’abord sous-représentée dans l’alliance. VOO, l’opérateur télécom et premier concurrent de Proximus en Wallonie, ne fait pas partie de l’alliance. Cette représentativité biaisée me rappelle le projet Media ID, un projet lancé début 2015 dont l’objectif était de collecter les données des utilisateurs belges grâce à un identifiant unique donnant accès à tous les sites des médias belges. Media ID a été abandonné 2 ans plus tard, une des raisons étant l’hétérogénéité de l’adoption entre le nord et le sud du pays.

Richesse des profils des utilisateurs

Deuxièmement, les profils des utilisateurs ne seront jamais aussi riches que sur Google ou Facebook. Google et Facebook sont des écosystèmes où les utilisateurs sont actifs : ils commentent, partagent, taguent, écrivent et cela fait vraiment une différence en termes de profilage. Les membres de l’alliance proposent (pour la plupart) des contenus à consommer (lire, écouter, regarder). Il s’agit d’un type de consommation plus passif qui en dit moins sur l’utilisateur. Mais ce n’est peut-être pas vraiment un problème. En fin de compte, la segmentation selon l’âge, le code postal et le sexe est encore la plus utilisée par les annonceurs l’addition de n’importe quel type de données sera déjà un grand pas en avant.

Obstacles techniques

Troisièmement, il y a aussi de gros obstacles techniques. Partager des données entre les entreprises (généralement au travers d’une DMP ou Data Management Platform) peut sembler une tâche facile, mais ce n’est pas le cas. Plus il y aura d’acteurs, plus il sera compliqué de mettre en place ce projet et de le rendre opérationnel. Tant que vous injectez des données structurées simples (sexe, code postal, âge), cela peut être faisable. Mais le projet est plus ambitieux que cela. Il vise à établir le profil des utilisateurs en fonction de leur consommation (article, vidéo, audio). Cela signifie que vous devrez catégoriser ces différents types de médias, comprendre leur teneur, hiérarchiser les thématiques dont ils traitent, analyser quelles thématiques les utilisateurs consomment le plus. Pour surmonter une telle tâche, vous devez utiliser des algorithmes de NLP (traitement naturel du langage) afin d’analyser un contenu qui aura été transcrit préalablement sous forme de texte (Spech-to-Text) et utiliser une taxonomie commune à tous les membres. Et soudainement les défis techniques semblent beaucoup plus compliqués à surmonter d’ici fin 2019.

 

Crédits image : shutterstock



Publié dans Innovation.

Donnez votre avis

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *