26 juin 2017 717 mots, 3 min. de lecture

Les algorithmes ont banni le droit à l’échec. Voici pourquoi c’est inquiétant.

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
L’intelligence artificielle, les algorithmes utilisant l’apprentissage automatique (machine learning), ont transformé notre vie en une quête de l’efficacité. Le droit à l’échec semble ne plus exister. Commençons par souligner que pour un algorithme l’erreur n’existe pas; c’est juste une prédiction […]

L’intelligence artificielle, les algorithmes utilisant l’apprentissage automatique (machine learning), ont transformé notre vie en une quête de l’efficacité. Le droit à l’échec semble ne plus exister.
Commençons par souligner que pour un algorithme l’erreur n’existe pas; c’est juste une prédiction qui a mal tourné par manque de données de référence. Cet «accident» statistique sera dès lors pris en compte pour améliorer les prévisions.
Dans le domaine de la gouvernance algorithmique, l’échec n’est donc plus une option et c’est là une évolution très dangereuse causée par les « data sciences« . En fait, je pense véritablement que c’est l’une des choses les plus effrayantes qui ait eu lieu au cours de la dernière décennie; cela ne semble toutefois inquiéter que peu de monde, le monde des Big Data restant hermétique et fermé au plus grand nombre. Personne ne semble réaliser que les conséquences peuvent être terribles.

L’échec est au cÅ“ur de l’apprentissage de l’être humain. « Vous apprenez de vos erreurs » dit la sagesse populaire et il n’y a rien de plus vrai. Les enfants apprennent à marcher à force de tomber par terre; les leçons de vie les plus mémorables sont celles qui ont fait mal ou ont suscité une charge émotionnelle importante; les réalisations dont vous êtes le plus fier sont celles qui ont été les plus difficiles : un examen particulièrement ardu, une compétition sportive très disputée. Finalement, ce dont vous vous souvenez, les souvenirs les plus rémanents et la connaissance la plus persistante, tout cela converge vers un point commun : ces expériences ont eu un coût; le coût de vos efforts. Souvenez-vous d’un slogan de Nike « No pain, No gain ».

Quels efforts devons-nous encore faire aujourd’hui ?

Aujourd’hui la connaissance est à portée de main. Vous vous demandez quelle est la distance entre la Terre et la Lune. Facile : « Google est votre meilleur ami ». Toute la connaissance est si facilement disponible qu’on peut se demander quelle motivation il peut encore y avoir à apprendre et à retenir les choses. La prochaine fois que vous vous poserez la même question il suffira de redemander à Google (qui à force de lui poser les mêmes questions pourra en déduire que vous souffrez de troubles de la mémoire, comme Dory dans « Le Monde de Nemo »). Le besoin d’une mémoire diminue.

Aujourd’hui tout est à portée de souris, et pas seulement les connaissances. Vous voulez quelque chose ? Allez en ligne, faites quelques clics et achetez. Avec un peu de chance ce sera même livré le même jour. Ce qui était une exception logistique hier (les livraisons rapides) est aujourd’hui devenu la règle, notamment grâce à l’automatisation. Au final les magasins « en dur », le retail classique, ne sert plus que de vitrine aux sites de e-commerce. C’est le showrooming.

Consommation et connaissance sont au final sous-traitées à des machines. L’être humain était loin d’avoir atteint ses limites mais la facilité l’a conduit à déléguer ces deux aspects importants de la vie moderne aux ordinateurs. Mais pour quels gains ? La paresse est la maladie qui tue l’humanité.

Si nous n’autorisons pas l’échec, nous n’autorisons pas le progrès

J’ai donc dit que l’échec était essentiel dans la construction de l’Humain, mais également de l’Humanité toute entière. L‘utilisation d’algorithmes auto-apprenants, si elle facilite notre vie quotidienne, a comme corollaire de nous asservir et de nous rendre dépendant à la technologie (essayez de vous passer de Google et d’algorithmes de recommandation; j’ai essayé et j’en suis vite revenu).
Là où l’échec nous permettait d’apprendre des stratégies gagnantes (des stratégies de survie), les algorithmes suppriment aujourd’hui ce besoin et nous rendent tout à fait dépendants. Comme je l’ai montré dans le paragraphe précédent cette dépendance est d’abord et avant tout dangereuse en termes de développement intellectuel et menace donc, en prolongement, l’évolution de notre espèce.
Si nous n’autorisons pas l’échec, nous n’autorisons pas le progrès. Le confort, somme toute, est peut-être notre pire ennemi. Ce confort est aujourd’hui principalement algorithmique.

Image : shutterstock



Publié dans Data et IT, Innovation, Marketing.

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