26 avril 2021 1141 mots, 5 min. de lecture

Pourquoi les géants du luxe s’allient dans l’Aura Blockchain [Analyse]

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
LVMH, Prada et Richemont ont annoncé la création du consortium Aura Blockchain. Cette alliance dans la blockchain répond à 3 objectifs stratégiques : la lutte contre la contrefaçon le suivi des produits de luxe vendus sur les plateformes de seconde […]

LVMH, Prada et Richemont ont annoncé la création du consortium Aura Blockchain. Cette alliance dans la blockchain répond à 3 objectifs stratégiques :

  1. la lutte contre la contrefaçon
  2. le suivi des produits de luxe vendus sur les plateformes de seconde main
  3. la volonté d’entretenir une relation avec les propriétaires successifs durant toute la vie du produit

Sommaire


L’histoire de l’Aura Blockchain

L’Aura Blockchain a été lancée en 2019, à une époque où l’utilisation de la blockchain dans le secteur de l’horlogerie de luxe faisait l’objet de premiers tests (voir ci-dessous). Le but du projet est d’offrir aux clients de ces « maisons » une assurance sur l’authenticité du produit acheté.  En 2016 la Commission Européenne estimait à 41 millions le nombre d’articles contrefaits saisis par les douanes pour une valeur de 670 m€. C’est bien entendu la partie visible d’un iceberg dont la partie immergée est largement constituée d’articles de luxe contrefaits.

En créant le Consortium Aura Blockchain et en l’ouvrant à toutes les marques de luxe, LVMH, Prada et Richemont confirment l’intérêt de cette technologie ainsi que leur volonté de défendre leurs positions.

Les premières marques à rentrer dans le Consortium Aura Blockchain sont Bulgari, Cartier, Hublot, Louis Vuitton et Prada.  Toutes les autres marques de luxe sont les bienvenues, preuve s’il en fallait que cette initiative vise véritablement à créer un contrepoids et revêt donc une importance stratégique pour la croissance des sociétés concernées.


Les enjeux de la traçabilité dans le secteur du luxe

En matière de luxe on distingue deux niveaux de traçabilité :

  • le premier niveau permet de garantir l’authenticité du produit à l’acheteur à travers les méandres de chaînes de production qui sont de moins en moins localisées et de plus en plus mondialisées. Les risques de fraudes sont donc importants. Comme pour la monnaie dont la valeur repose sur la confiance, celle du consommateur est tout aussi importante pour les marques de luxe. Les produits positionnels sont en effet une « illusion marketing » puisque le prix du produit est celui qui est attaché à la marque. Les matériaux utilisés (la valeur intrinsèque) est minoritaire dans le prix final.
  • le second niveau a trait à l’origine des produits. Les marques de luxe vendent une perception de qualité qui est fortement ancrée dans le « made in … ». Certains pays à bas coûts ayant une association négative en termes de qualité, les lieux de production sont des secrets jalousement gardés par les marques de luxe.

La blockchain est censée assurer la traçabilité du produit à toutes les étapes de sa fabrication ; une fabrication qui est devenue, avec la mondialisation, de plus en plus globale et qui pose de vraies questions en termes de perceptions de valeur. Malheureusement l’Aura Blockchain ne va pas nous révéler « l’envers du décor ». Son but n’est pas de donner des indications sur l’origine géographique des produits, ni sur des conditions de fabrication qui ont déjà été maintes fois dénoncées par les médias (voir exemple ci-dessous). La transparence revendiquée par le Consortium n’est donc que partielle. On pourrait parler d’une semi-opacité. Le consommateur est rassuré sur la valeur extrinsèque de son achat, mais la valeur intrinsèque (coût des matières premières, coûts de la main d’œuvre) reste cachée.


Mieux contrôler le marché de l’occasion : la priorité cachée ?

L’autre enjeu stratégique qui se cache derrière l’Aura Blockchain c’est le contrôle du marché de la seconde main de luxe. Les objets vendus par les marques de luxe sont, par essence, des objets dont on prend soin et qui ont un potentiel de valorisation (le sac Kelly d’Hermès en est un excellent exemple). Leur durée de vie est plus longue que la moyenne et il peuvent donc trouver de nouveaux propriétaires au cours de leur vie.

La revente de ces objets de luxe a permis à des plateformes comme Vestiaire Collective d’émerger, privant les grandes Maisons de revenus additionnels mais surtout du lien direct avec les nouveaux acheteurs. Lorsqu’un objet de luxe change de main, c’est le fabricant qui perd la traçabilité.

Avec l’Aura Blockchain, les grandes Maisons tentent de rétablir l’équilibre et vont chasser sur les terres des plateformes online. Elles se dotent d’une arme technologique leur permettant de conserver un lien avec chaque propriétaire et, potentiellement, de communiquer avec eux. En parallèle du certificat blockchain, des applications sont en effet lancées (voir vidéo ci-dessus), qui associent le certificat blockchain à son nouveau propriétaire. Sous couvert de bénéficier de certains avantages immatériels (faire partie d’un « club » chez Vacheron Constantin par exemple), vous vous identifiez auprès du fabricant.

Le tour est joué. Le fabricant sait qui est le nouveau propriétaire et il peut même communiquer directement avec vous.


La blockchain est utilisée depuis 2019 dans l’horlogerie haut-de-gamme

L’utilisation de la blockchain dans le secteur du luxe n’est pas vraiment une nouveauté. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les projets qui ont été lancés dans le domaine de la haute horlogerie.

Hublot a sans doute été un pionnier dans l’utilisation de la blockchain. Dès 2018 cette marque, qui se positionne comme un acteur très orienté « tech », a lancé une montre (la Big Bang Meca) qui ne pouvait s’acheter qu’en bitcoins. On espère pour Hublot qu’ils ont gardé les bitcoins et multiplié leur mise.

Hublot Big Bang Meca Bitcoin

La Big Bang Meca de Hublot ne pouvait être achetée qu’en bitcoins. Elle a été lancée en 2018.
Image : Copyright Hublot.

Vacheron Constantin a présenté son système de certificat basé sur la blockchain au salon Viva Tech à Paris dès 2019. La technologie utilisée est celle d’Arianee, un standard open source proposée par la société éponyme. Les certificats sont depuis Novembre 2020 intégrés comme un service au sein de l’Hour Club, le club des propriétaires de Vacheron Constantin.

Ulysse Nardin utilise la blockchain pour certifier l’origine de toutes ses montres depuis Novembre 2019.

Breitling a lancé en Mars 2021 son offre #BreitlingSelect. Au sein de celle-ci est intégrée un passeport digital basé sur la blockchain.

Vacheron Constantin Patrimony Blockchain

Vacheron Constantin propose une application mobile qui permet d’enregistrer et de tracer chaque montre grâce à la blockchain.
Copyright : Vacheron Constantin

 



Publié dans Innovation.

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