22 janvier 2018 954 mots, 4 min. de lecture

Cette étude de marché a 120 ans et combine Big Data et qualitatif

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Le projet initié par Charles Booth au 19ème siècle est une des études de marché les plus exemplaires qui soit, combinant à la fois techniques qualitatives et quantitatives, notamment un pan utilisant le « Big Data » et la visualisation de données […]

Le projet initié par Charles Booth au 19ème siècle est une des études de marché les plus exemplaires qui soit, combinant à la fois techniques qualitatives et quantitatives, notamment un pan utilisant le « Big Data » et la visualisation de données à une époque où ce mot ne pouvait pas encore exister. Découvrez ce projet hors du commun dans cet article.

Et Charles Booth créa la première carte de la pauvreté à Londres

L’un des projets de visualisation les plus intéressants que j’ai eu l’occasion de découvrir a été initié il y a plus d’un siècle par Charles Booth, un homme d’affaires né à Liverpool qui a fait fortune grâce aux échanges commerciaux avec le Brésil. Booth avait une passion pour les statistiques et était aussi un homme de convictions, s’intéressant entre autres aux questions sociétales comme la pauvreté. Quand il a déménagé de Liverpool à Londres il a été stupéfait par le niveau de pauvreté dans certains quartiers de la ville et a décidé d’en donner une image objective. En se basant sur les données de recensement il a financé avec sa fortune personnelle un projet de collecte de données dans toute la ville. Accompagné de policiers, lui et son équipe de chercheurs ont visité toutes les maisons de Londres, interrogé les habitants et pour finalement les classer en 7 classes allant (par ordre croissant) de « classe inférieure. Vicieux, semi-criminel » à « Classe moyenne supérieure et classes supérieures. Riches. »

 

Une méthodologie exemplaire

La méthodologie qualitative utilisée par Booth est décrite sur le site Internet de la London School of Economics (LSE) comme suit:

La méthodologie choisie était complexe et originale, comme il convenait de le faire dans un exercice aussi ambitieux de recherche empirique. Booth a tenté de comprendre la vie des Londoniens par le biais d’une enquête s’intéressant à 3 perspectives : (1) leurs lieux de travail et leurs conditions de travail, (2) leurs maisons et les environnements urbains dans lesquels ils vivaient, et (3) la vie religieuse de la ville. Les enquêteurs de Booth suivaient les membres du London School Board ainsi que des policiers. Ils interrogèrent les propriétaires d’usines, les travailleurs et les représentants syndicaux sur leur lieu de travail ou à leur domicile. Ils rendirent visite aux dirigeants du culte et à leurs congrégations. Dans les cahiers sont consignés les commentaires des personnes interrogées ainsi que ceux des enquêteurs. Les données recueillies ont ensuite été utilisées pour produire des statistiques sur les conditions de vie et de travail des Londoniens.

L’utilisation de cette méthode d’enquête est un hommage particulièrement remarquable à l’ethnographie. Aujourd’hui, nous parlerions de triangulation, de techniques d’études de marché essayant de comprendre un phénomène sous différents angles. C’est d’ailleurs l’essence même d’une bonne étude de marché : combiner les méthodes et les perspectives pour évaluer une situation de la manière la plus objective possible.

 

Une combinaison d’ethnographie et de techniques quantitatives

Cet exemple ancien d’étude de marché demeure encore aujourd’hui un exemple unique où l’ethnographie se combine à la recherche quantitative. La London School of Economics (LSE) préserve cet héritage et met à disposition sur son site Web les cahiers et les cartes qui ont été produites par Booth et ses collaborateurs. La première carte en couleurs a été publiée en 1889 et d’autres ont suivi, publiées dans les éditions successives de son ouvrage de référence (1898,1902-1903).

Pour les amateurs de livres, sachez d’ailleurs qu’un ensemble complet de l’oeuvre de Booth est actuellement en vente pour 24 777 $ à Londres.

Si la carte est la plus connue, les cahiers sont néanmoins particulièrement intéressants. J’ai essayé d’en déchiffrer certaines parties, mais l’écriture de Booth et ses assistants rend la tâche particulièrement ardue. Voici toutefois un exemple assez lisible tiré des recueils de Stepney Union, une série de six recueils de notes sur la vie des détenus des maisons de travail Bromley et Stepney.

 

La visualisation des données dans toute sa beauté

Et pour finir voici le chef-d’Å“uvre de Booth, ses fameuses cartes coloriées à la main. N’est-il pas incroyable de voir comment, il y a plus d’un siècle, les criminels se rassemblaient déjà au même endroit (cherchez par exemple dans le quartier Saint-George), formant des îlots de pauvreté et de criminalité. Cela m’a rappelé cet autre projet artistique de visualisation de données sur la criminalité que j’ai vu il y a quelques années au Musée d’Art Moderne à New-York (MoMa).
Vous remarquerez également à quel point les différentes classes sont séparées: un pâté de maisons, parfois une rue, sont homogènes. Rien n’a changé jusqu’à présent et il n’ y a pas besoin de bulles de filtre algorithmiques pour vivre dans un écosystème clos.

En guise de conclusion

Le projet de Charles Booth peut être considéré comme un chef-d’Å“uvre d’étude de marché. C’est un des premiers exemples que je connaisse où la recherche qualitative (ethnographie) est combinée à des méthodes quantitatives (puis présenté sous forme visuelle).
Nous avons oublié de nos jours à quel point la collecte des données était une tâche fastidieuse. Si les données sont aujourd’hui partout disponibles il ne faut pas oublier que les méthodes qualitatives restent primordiale pour collecter des insights que le quantitatif ne vous livrera jamais.



Publié dans Data et IT, Marketing, Recherche.

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