26 janvier 2015 947 mots, 4 min. de lecture

Économie du partage : une nouvelle forme d’exploitation ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
J’ai reçu la semaine dernière un appel de la télévision publique belge: ils voulaient en savoir plus sur le partage de l’économie pour une prochaine émission et savoir en particulier les changements que cela avait induit dans notre société. Après […]

J’ai reçu la semaine dernière un appel de la télévision publique belge: ils voulaient en savoir plus sur le partage de l’économie pour une prochaine émission et savoir en particulier les changements que cela avait induit dans notre société.
Après une heure de discussion, mon pessimisme avait atteint un sommet. Ma conclusion est que l’économie du partage (« the sharing economy ») était au final plus une menace pour notre modèle de Société qu’un véritable avantage.

A quoi ressemble l’économie du partage actuellement ?

Il est tout d’abord très intéressant de noter qu’il y a deux mots principaux dans « économie du partage ». Le mot «partage» et le mot «économie».
Tout d’abord, allons jeter un oeil à la définition de «partager»

« Diviser une chose en plusieurs parties séparées, pour en faire la distribution. »

Par définition, «l’économie de partage » pourrait donc être un modèle économique basée sur l’acte de «partage». L’acte de partage devient dans cette définition un moyen de « faire de l’argent » en mettant à disposition des ressources sous-utilisées. Ma définition de l ‘«économie de partage » est donc la suivante (et je sais que certaines personnes la trouveront trop extrême): « la monétisation de ressources sous-utilisées ». Notez le terme «monétisation» qui véhicule l’idée de «faire de l’argent », inhérent au capitalisme.

Les origines de l’économie de partage

Je suppose que les origines de l’économie du partage doivent être recherchées dans les initiatives locales visant à l’échange de biens et services entre personnes vivant dans la même zone. Je vous emprunte cette perceuse et vous pouvez m’emprunter quelque chose.
Ces initiatives locales sont appelées «systèmes d’échange locaux » (SEL). Il y a une volonté dans ces SEL d’éviter l’utilisation d’argent «réel». Cela oblige cependant les gens à échanger directement, sans intermédiaire (car un intermédiaire ne travaille généralement pas gratuitemet). Il n’y a pas d’argent en jeu et il y a donc une dimension locale. Cette approche permet de retisser des liens entre personnes (ce qui est un bien dans notre société individualiste), mais en même temps la dimension géographique est limitée. La révolution de l’Internet a permis de relier les gens entre eux au-delà de leur zone habituelle. Soudain, il devint possible d’échanger sa maison pour la période des vacances contre un lieu de villégiature dans un autre pays.

L’effet négatif de la monétisation

De nombreuses entreprises cherchent aujourd’hui à exploiter la puissance du «partage». Vous avez tous entendu parler d’Airbnb, d’UberPOP, peut-être moins de plateformes pour chercher du travail comme Elance ou ODesk.
Dans ce business model il y a donc trois acteurs: le client, le fournisseur et l’intermédiaire. L’intermédiaire a besoin de gagner sa vie et prend une commission. Le prix du service peut être défini soit par l’intermédiaire (comme dans le cas d’UberPop qui définit un prix au kilomètre) ou défini par le fournisseur (comme dans le cas d’Elance, d’ODesk ou de Airbnb). Dans le premier cas, nous voyons que les fournisseurs gagnent souvent peu (à la limite de l’exploitation): lisez par exemple cet article sur la situation aux Pays-Bas où les conducteurs UberPop gagnent en fait moins que le salaire minimum légal. Dans le second cas, la situation est encore pire. Les fournisseurs sont en concurrence les uns contre les autres. C’est également le cas avec Airbnb où chacun est libre de définir le prix par nuit mais si personne ; toutefois si personne ne réserve vous serez bien obligé de baisser votre prix. Cette situation est beaucoup plus évidente dans le cas d’Elance et ODesk où des freelances s’affrontent pour décrocher un emploi. Les clients ont un énorme pouvoir de négociation et les fournisseurs (freelances) en deviennent les victimes.

Conclusion

Nous avons commencé avec une définition de l ‘«économie de partage » et ce que nous voyons, c’est que sa conception actuelle ne comprend pas la dimension altruiste sous-jacente dans le mot «partage». En fait, la monétisation de l’acte de «partage» a conduit à encore plus de fragmentation, à casser encore plus les liens entre personnes. Cet acte de destruction culmine sur une plateforme comme Elance ou ODesk où les fournisseurs sont engagés dans une spirale négative, qui conduit à détruire plus de valeur qu’à en créer.
Je suis désolé de le dire mais derrière l’engouement pour l’économie de part se cache une réalité très négative. Pour moi, la plupart des formes prises par l’économie de partage sont caractéristiques du capitalisme dans sa pire forme. La culture de groupe, l’instinct grégaire que la plupart des pays ont perdu après la seconde guerre mondiale et l’avènement du consumérisme, ne seront pas retrouvés grâce à l’économie de partage. C’est en fait le contraire qui risque de se produire.
Il y a cependant d’autres business models bien plus positifs dans l’économie de partage, et qui contribuent réellement à l’intérêt supérieur de la Société. Le « Coworking » en est un exemple éclatant.

 

Crédit photo : Roma via flickr


Publié dans Marketing.

2 commentaires

  1. Bonjour,
    au travers de votre analyse, j’ai un peu le sentiment que vous passez à coté de l’essentiel de ce qui compose cette nouvelle économie qui pointe le bout du nez, à savoir l’accent mis non pas sur la propriété d’un bien mais bien sur son utilisation… Cette approche intervient aujourd’hui, à l’heure où les différents pics de matières premières pointent leur nez et où l’économie doit repenser son modèle, non plus sur un modèle linéaire (exploitation de matières premières > transformation > distribution > Incinération) mais sur un mode circulaire, avec en plus une optimisation de son utilisation par de nombreux « utilisateurs partagés. S’il est certain que le modèle se cherche, le réduire à cette analyse est assez réducteur. Pour preuve le modèle de car sharing Cambio est aussi très abouti à Bruxelles.

  2. Bonjour,

    Il est vrai que cette lecture de l’économie du partage ne faisait pas dans la nuance. Cela était d’ailleurs fait exprès afin que les gens s’interrogent (ce qui est le cas au vu du nombre de retweets et d’emails reçus).
    Nous ne nions pas que certains modèles inspirés de l’économie du partage soient plus positifs. Nous finissons d’ailleurs l’article sur une touche d’espoir assumée en citant le « coworking », un modèle formidable où tout le monde est gagnant. Mais vous êtes-vous jamais interrogé sur la différence entre le coworking et Cambio d’un côté, et Uber / AirBNB de l’autre ? Dans le cas de Cambio et du coworking vous avez 2 parties prenantes (le propriétaire / louer de voitures d’un côté et le consommateur de l’autre). Dans le cas d’Uber / AirBNB vous en avez trois (le fournisseur, le consommateur et la plateforme). Le détournement des bienfaits de l’économie du partage n’est-il pas à rechercher dans ce troisième acteur ?

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