30 octobre 2019 883 mots, 4 min. de lecture Dernière mise à jour : 3 juin 2021

Étude de la fracture numérique : qui sont ceux qui n’ont pas accès à internet ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Dans le billet d’aujourd’hui j’ai envie de vous raconter une histoire vraie, celle d’une demande pour une étude de marché qui nous est parvenue il y a quelques semaines. Cette demande (adressée par une agence digitale indienne agissant pour un […]

Dans le billet d’aujourd’hui j’ai envie de vous raconter une histoire vraie, celle d’une demande pour une étude de marché qui nous est parvenue il y a quelques semaines. Cette demande (adressée par une agence digitale indienne agissant pour un client renommé) est symptomatique des problèmes de méthodologie auxquels nous faisons face tous les jours. A cela s’ajoutait de plus une vraie méconnaissance du terrain d’étude. Cette « anecdote » sera aussi pour nous l’occasion de parler d’un vrai problème de société, la fracture numérique, et de vous fournir quelques éléments de compréhension à ce sujet.

Une étude de la fracture digitale en France, Allemagne et au Royaume-Uni

La demande initiale était prometteuse. Il s’agissait d’étudier la fracture numérique en allant à la rencontre de personnes n’ayant pas accès à Internet. La proposition méthodologique faite par l’agence était cependant tout sauf réaliste.

En effet la méthodologie prévoyait, pour chaque pays :

  • 150 entretiens téléphoniques de 25 minutes avec des personnes à faibles revenus et sans accès à internet (dans notre jargon c’est ce que l’on appelle un CATI pour « computer-assisted telephone interview »)
  • 100 entretiens téléphoniques de 25 minutes avec des personnes à revenus normaux mais sans accès à internet
  • 50 entretiens de 35 minutes en face-à-face avec des personnes à faibles revenus mais sans accès à internet

Le recrutement devait être assuré par nos soins et tout devait être fini en 1 mois.

Pourquoi cette demande n’a pas de sens

Passons sur le nombre exagéré d’entretiens (encore un qui n’a pas compris la différence entre étude de marché qualitative et étude de marché quantitative). Le plus perturbant c’est la méconnaissance du terrain d’étude et les exigences temporelles qui en résultent.

Regardez le graphique ci-dessous (source : Eurostat). Il représente l’accès des foyers à internet (hors téléphone mobile) en 2017 dans les différents pays de l’Union Européenne.

internet access households europe

On constate donc que

  • En France, 86% des ménages avaient accès à Internet.
  • En Allemagne : 93% des ménages avaient accès à Internet.
  • Au Royaume-Uni : 94% des ménages avaient accès à Internet.

Ceux qui n’ont pas accès à internet sont donc plutôt rares, encore plus rares si on prend en compte l’internet mobile. Les trouver n’est donc pas une mince affaire et bien entendu il n’existe pas de « listes » (ou de panels) de personnes n’ayant pas accès à internet. Par définition, puisqu’elles n’ont pas accès à internet elles ne peuvent pas s’inscrire à un panel.

Qui sont ceux qui n’ont pas accès à internet ?

Il y a deux réponses.

La première concerne le lieu de résidence. Comme l’explique l’UFC dans son étude sur l’internet fixe ce sont les zones rurales qui souffrent le plus de mauvaises connexions à internet. Cette étude se concentre donc sur le haut débit et n’implique pas que les habitants des zones rurales n’ont pas de connexion du tout. Elle sera juste de plus mauvaise qualité (moins rapide) qu’en zone urbaine.

Il y a ensuite une corrélation entre accès à Internet et âge. Le graphique ci-dessous montre sans ambiguïté possible que les plus âgés sont également les moins connectés (source : Statista).

taux penetraton internet france par âge

En conclusion, ruralité et âge avancé sur sont les deux facteurs qui sont, a priori, le plus susceptibles d’expliquer l’absence d’accès à internet.

Une étude qui souffrira de plusieurs biais

Si on fait abstraction du temps irréaliste imparti pour l’étude (le commanditaire est d’ailleurs revenu plusieurs fois vers nous avec des délais plus longs), cette étude de la fracture numérique risque de souffrir de plusieurs biais.

Le premier biais sera de nature géographique puisqu’a priori la majorité des personnes en situation d’exclusion se trouvent en zone rurale.

Le second biais sera celui de l’âge. Les entretiens risquent d’être en majorité réalisés avec des personnes âgées.

Si on fait l’hypothèse que le recrutement des répondants est possible, la conduite des entretiens risque de poser elle-même de nombreux challenges. Comment garantir en effet que des entretiens téléphoniques (surtout de 25 minutes !) puissent être réalisés avec des personnes âgées (voire très âgées) ? L’absence d’internet dans le foyer n’est-elle pas symptomatique d’autres problèmes et sera-t-il possible de contacter les répondants ?

En conclusion

couverture du guide de réalisation de l'étude de marché

La couverture de notre livre blanc consacré à la réalisation d’une étude de marché. Ce guide est téléchargeable gratuitement ici.

Cette demande montre le manque de préparation et le manque de compréhension des prospects pour les méthodes d’études de marché. Avant de réaliser une étude il convient que vous vous renseigniez sur sa faisabilité. Comprendre l’objet de l’étude, comprendre la réalité du « terrain » sont donc essentiels. En tant que client vous devriez aussi vous poser des questions si le cabinet d’études de marché auquel vous vous adressez accepte trop rapidement, ou sans vous challenger, votre demande. La confiance doit naître d’un respect mutuel mais aussi d’une critique constructive du projet.

Si vous vous posez des questions sur la réalisation d’une étude d’un marché, n’hésitez pas à consulter notre guide (disponible au téléchargement gratuitement en cliquant sur le lien ci-contre)



Publié dans Marketing.

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