9 septembre 2020 1473 mots, 6 min. de lecture Dernière mise à jour : 15 mars 2022

Repenser l’expérience client au musée grâce aux (Big) data

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Comment les Big Data peuvent-elles aider les musées à se réinventer ? Quelles techniques de collecte de données mettre en œuvre pour mieux comprendre les visiteurs ? Comment utiliser les données pour fidéliser les visiteurs ? Dans cet article nous […]

Comment les Big Data peuvent-elles aider les musées à se réinventer ? Quelles techniques de collecte de données mettre en œuvre pour mieux comprendre les visiteurs ? Comment utiliser les données pour fidéliser les visiteurs ?

Dans cet article nous proposons une série de réflexions sur les dispositifs muséographiques actuels, futurs, et sur les initiatives « data » qui peuvent être mises en place afin de améliorer l’expérience client et fidéliser les visiteurs.

Sommaire

Introduction

A l’heure où la crise du Covid-19 frappe durement tous les acteurs du monde culturel, il n’a jamais été aussi important pour les musées de connaître leurs « clients » et de les fidéliser. Or, un problème des grands musées est la part importante de néo-visiteurs : 60% des visiteurs du Louvre par exemple n’étaient jamais venus auparavant. Comprendre le comportement de ces primo-visiteurs est essentiel pour mieux les servir et pour les faire revenir. A l’opposé, chaque musée peut compter sur une portion de visiteurs très fidèles dont les attentes et le comportements sont différents de celui des primo-visiteurs.

Proposer des approches différenciées pour chaque type de visiteur, leur offrir des expériences clients spécifiques, sont des vecteurs de satisfaction et de fidélisation.

Or, il faut bien constater que les grandes institutions muséales ne sont pas les plus innovantes en matière de marketing. Des opportunités immenses sont donc à saisir, notamment par une meilleure utilisation des traces numériques laissées par les visiteurs. L’objet de cet article est d’étudier ce qui se fait en matière de (Big) data dans les musées d’Art et de proposer des pistes de réflexions pour une meilleure utilisation des données.

60% des visiteurs du Louvre sont des primo-visiteurs.

Les musées à l’heure du Big Data

De nombreux musées se sont ouverts aux données en numérisant leurs collections et en les mettant à dispositions des chercheurs. Les images sont accompagnées de metadonnées qui permettent de multiples applications, notamment l’entraînement d’algorithmes de reconnaissance d’images. La National Gallery de Washington a ainsi organisé, fin 2019, un « datathon » afin d’exploiter les données déjà disponibles. Les 6 équipes de data scientists ont principalement travaillé sur les œuvres elles-mêmes.

Initiatives open data dans les musées

  • Le Rijksmuseum (Amsterdam) propose sur sa page data des photographies de ses collections, des métadonnées pour chaque objet, un thesaurus, un catalogue des collections.
  • Le Metropolitan Museum (New-York) propose des images de ses œuvres ainsi qu’un catalogue des collections.
  • La National Gallery de Washington propose une bibliothèque numérique des œuvres dans ses collections.
  • Le ministère de la culture italien (MBACT) propose une initiative open data sur cette page.

Mais en dehors de ce type d’initiatives, il faut bien reconnaître que les projets « data » sont plutôt rares. Ce constat est un peu celui qui est fait par Anne Krebs dans un article de « Grande Galerie », le journal du musée du Louvre. Dans cet article elle dresse le panorama des initiatives prises par le Louvre dans le cadre de 3 programmes de recherche sur les Big Data. Parmi les projets abordés en détail, l’étude du flux des visiteurs à l’intérieur du musée m’a particulièrement intéressée. Réalisée par une équipe de 7 chercheurs américains, suisse, et espagnol, l’étude a permis de quantifier et visualiser les flux de visiteurs à l’intérieur du Louvre. Pour réaliser cette étude des détecteurs bluetooth ont été utilisés qui permet de suivre les téléphones mobiles dont la fonction bluetooth est activée.


Cette technique, employée pour la 1ère fois dans un musée de grande taille comme Le Louvre, livre des informations comportementales intéressantes : comment les visiteurs se déplacent-ils (de manière générale) ? Quels trajets suivent-ils en fonction du temps qu’ils passent dans l’enceinte du musée ? Dans quel ordre parcourent-ils les salles ? Les informations qui résultent d’une telle étude représentent un potentiel extraordinaire pour analyser les différents segments de visiteurs, optimiser les visites, faciliter les déplacements, et comprendre tout simplement comment les visiteurs consomment les œuvres d’Art.

Ce projet mené au Louvre fait pendant à une autre initiative. Aux Pays-Bas, les tablettes prêtées aux visiteurs du Van Gogh Museum pour les guider sont suivies grâce à des beacons. Cette technique permet également de retracer les parcours des visiteurs à l’intérieur du musée. Les beacons ont aussi l’avantage de pouvoir envoyer des notifications sur les smartphones et tablettes qui y sont connectées; une bonne manière d’interagir avec les visiteurs et d’améliorer l’expérience client.

Mais de telles initiatives restent rares. Un constat s’impose : les musées déploient des trésors d’énergie pour mettre l’information à disposition du public. Toutefois, ils oublient d’utiliser les données pour comprendre leurs publics et mieux les servir.

Les musées déploient des trésors d’énergie pour mettre l’information à disposition du public. Toutefois, ils oublient d’utiliser les données pour comprendre leurs publics et mieux les servir.


Des traces numériques qui pourraient être mieux exploitées

Les millions de visiteurs qui se pressent (ou se pressaient avant le Covid) dans les grands musées sont une source inépuisable de « mégadonnées » (Big Data). De multiples initiatives pourraient être mises en place pour répondre à des questions telles que :

  • Quels sont les parcours des visiteurs à l’intérieur de l’espace muséal ?
  • Quelles sont les œuvres qui « retiennent » les visiteurs le plus longtemps ?
  • Comment les supports d’information sont-ils utilisées par les visiteurs ?
  • Comment les parcours des primo-visiteurs différent-ils de celui des visiteurs réguliers ?

En un mot comme en cent, comment les visiteurs « consomment »-ils le musée ?

Les dispositifs digitaux sont légion qui permettraient la collecte et l’exploitation des données « culturelles ». Pensés comme des supports à la visite (écrans tactiles, applications mobiles), ces dispositifs pourraient aussi être utilisés pour comprendre le comportement des visiteurs (cf. le projet du Van Gogh museum avec les beacons). Dans le tableau ci-dessous je me laisse aller à imaginer de nouveaux usages pour les dispositifs les plus couramment rencontrés : écrans tactiles, guides audio, applications mobiles. Certains exploitations sont sans doute directement possibles. D’autres requièrent des adaptations matérielles pour permettre la récolte de données.

Dispositifs Utilisation actuelle Possibilité d’exploitation des données
Ecrans tactiles Recherche d’informations / approfondissement Comment les visiteurs cherchent-ils sur l’écran ?
Quel temps passent-ils à prendre connaissance des informations disponibles ?
certains écrans sont-ils plus utilisés que d’autres ?
Application mobile Guidage / recherche d’information Utilisation de capteurs bluetooth ou beacons pour suivre les flux de visiteurs à l’intérieur du musée
Reconstitution du parcours du visiteur sur base des informations consommées
Identification des œuvres les plus demandées dans l’app
Guide audio Délivrer des informations audio au fur et à mesure de la visite Ajout pour quelques centimes d’un chip bluetooth afin de pouvoir suivre le guide audio via beacons (actuellement le suivi du guide audio se fait au mieux via RFID)
Reconstitution du trajet du visiteur sur la base des informations audio consommées
Analyse des informations de lecture des guides audio (comment le visiteur a-t-il utilisé le guide audio ? Quelles informations ont été consommées ? Quelles œuvres ont fait l’objet d’une approfondissement ?

Au-delà des dispositifs d’edutainment déjà répandus, des initiatives plus confidentielles existent également. Elena Stylianou (2012) mentionne par exemple l’expérience faite à la Tate Britain lors de l’exposition « Constable: the Great Landscapes ». Un dispositif interactif avait été mis en œuvre qui permettait au visiteur de découvrir les clichés aux rayons-x d’une œuvre en utilisation la reconnaissance de mouvements (voir vidéo ci-dessous).

Conclusion

La crise du Covid-19 fait planer une menace existentielle sur les institutions culturelles.
Comprendre le comportement des visiteurs est plus essentiel que jamais pour proposer des expériences clients uniques permettant de fidéliser les visiteurs.
Les dispositifs digitaux actuels, et d’autres encore à développer, sont des sources de données sur les comportements des visiteurs. Les exploiter permettraient de mieux comprendre l’expérience muséale. Ce faisant, les visiteurs pourraient être segmentés, des expériences clients spécifiques mises en place pour augmenter la satisfaction des visiteurs. Par ricochet, une stratégie de fidélisation pourrait être mise en place afin, notamment, de convertir les primo-visiteurs en clients fidèles du musée.

Sources

Krebs, A. (2019) Musée et « mégadonnées » : partenariats de recherche au musée du Louvre. Grande Galerie, Hors-Série, pp 10-17.

MeeCham, P., & Stylianou, E. (2012). Interactive technologies in the art museum. Designs for Learning, 5(1-2), 94-129.



Publié dans Data et IT, Marketing.

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