20 mars 2019 2070 mots, 9 min. de lecture Dernière mise à jour : 26 juin 2023

L’intelligence artificielle : partenaire ou remplaçant dans les arts ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
De nombreuses plateformes utilisent déjà l’intelligence artificielle pour faire des recommandations personnalisées à leurs utilisateurs – c’est le cas de Netflix, de Spotify, ou encore de la startup Le Styliste abordée récemment sur ce blog. Aujourd’hui toutefois, les IA ne […]

De nombreuses plateformes utilisent déjà l’intelligence artificielle pour faire des recommandations personnalisées à leurs utilisateurs – c’est le cas de Netflix, de Spotify, ou encore de la startup Le Styliste abordée récemment sur ce blog. Aujourd’hui toutefois, les IA ne se contentent plus simplement d’analyser et de suggérer, mais sont également utilisées pour créer et aider à la création de contenu, notamment artistique.
Après avoir traité de la supériorité de l’intelligence artificielle sur l’homme dans les jeux, nous revenons dans cet article sur les avancées réalisées en matière de création de musiques, tableaux, et œuvres de littérature par des intelligences artificielles.

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Sommaire

  1. Etapes clés entre IA et création artistique
  2. De la musique créée par des IA
  3. Un tableau réalisé par une IA est vendu aux enchères
  4. L’influence des IA sur la littérature

Les étapes clés des créations artistiques via des IA

De la musique créée par des IA

Frank Madlener, patron de l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), oriente ses recherches depuis 50 ans vers la balance parfaite entre la machine et l’humain en termes de musicologie. Depuis 1980, les chercheurs de l’IRCAM sont capables de formater des IA afin qu’elles créent des morceaux « comme » des grands compositeurs sur la base de « motifs » récurrents dans leurs œuvres musicales. Cependant, l’intervention humaine a toujours été nécessaire afin de réaliser et finaliser un morceau. L’ambition est à la découverte. En effet, le but n’est pas que les intelligences artificielles prennent la place du compositeur, mais lui permettent d’explorer de nouveaux horizons créatifs.

En 2012, le chercheur François Pachet intègre à l’IA « Flow Machines » environ 13 000 musiques dont l’IA va analyser les notes, les accords, la mélodie, le rythme, etc., et va ainsi pouvoir générer des statistiques musicales. Là encore, l’idée sous-jacente est de réussir à proposer de nouvelles alternatives aux compositeurs lors de leurs processus de création, en leur donnant accès à une base de données d’accords, d’harmonies et de mélodies plus large que la leur.

En 2016, les scientifiques du Laboratoire de Recherches SONY CSL ont rendu publique la première musique créée par une intelligence artificielle : Daddy’s Car inspirée du style des Beatles.

Il est toutefois clair, et les spécialistes s’accordent sur ce point, que les machines, ordinateurs et IA peuvent, certes, créer du contenu – qu’il soit musical, littéraire ou autre – mais ne peuvent donner de sens fondé à leurs création. De même, bien que leurs réalisations soient de qualité, elles n’ont pas conscience de l’intérêt que celles-ci peuvent avoir pour le public.
Sans doute que les IA ne seront pas à même de créer le tube de l’année demain. Cependant, les sons développés sont déjà tout à fait acceptables pour être utilisés en fond de vidéos ou pour changer des musiques d’attente traditionnelles que nous détestons tous par exemple.

En 2018, le collectif Skygge lance l’album Hello World, une co-réalisation étonnante entre musiciens et une IA. Cette dernière est capable de créer la partition d’un morceau dans son intégralité. Toutefois, la validation finale en revient aux musiciens.
Plus récemment, début février 2019, l’entreprise chinoise Huawei dévoile la dernière création d’une IA « maison” : la finalisation de la Symphonie n°8 de Franz Schubert, œuvre inachevée depuis 1822. Le final est donc, certes, joué par un orchestre, mais conçu par une intelligence artificielle. Cette dernière a analysé les premiers mouvements de la symphonie pour créer son final.

Divers projets et initiatives lient la musique et l’intelligence artificielle : Melodrive à Berlin est une IA qui compose de la musique originale en direct et en temps réel. A Londres, l’initiative à l’origine de la création de l’IA Jukedeck offre la possibilité aux utilisateurs du site web de créer un son qui leur est propre en donnant simplement des informations sur le genre de musique qu’ils souhaitent, le ton, le tempo, les instruments et la longueur du morceau, et ce sans droits d’auteur.

Ces derniers mots posent la réflexion à suivre concernant les droits d’auteur et copyright. Une IA pourrait-elle en bénéficier ? Les artistes composant avec l’aide d’IA seraient-ils toujours assujettis aux mêmes droits qu’auparavant ?

En Australie, un projet un peu différent a vu le jour : Popgun, une startup australienne laisse une IA apprendre à jouer du piano comme le ferait un enfant, en observant des pianistes plus expérimentés et en jouant régulièrement, apprenant pas à pas. L’ambition finale est, pour la société, que l’IA puisse prétendre à accompagner un pianiste professionnel en live.

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L’IA peint… et se vend aux enchères

Loin des premiers tableaux réalistes créés par des intelligences artificielles, en 2016, une IA copie le style de Rembrandt et réalise un tableau intitulé The Next Rembrandt qui reprend les codes de l’artiste dans ses moindres détails.

Mais le plus impressionnant s’est déroulé en fin d’année 2018. En octobre s’est tenue une vente aux enchères bien particulière chez Christies. Au milieu d’œuvres comme celles d’Andy Warhol se trouvait une toile inédite, créée par une intelligence artificielle. Estimée entre 7 000 et 10 000 dollars, cette toile, intitulée Edmond de Belamy, et dont la signature n’est autre que la formule mathématique clé de l’algorithme en question, s’est finalement vendue 432 500 dollars.

Créée par Obvious, un collectif français, l’IA fonctionne avec la méthode GAN (Generative Adversarial Network) qui combine l’utilisation de deux algorithmes distincts. Le premier algorithme a pour but de créer des tableaux inspirés d’œuvres existantes. Le deuxième se concentre sur la reconnaissance des œuvres afin de pouvoir déterminer si ces dernières sont le fruit d’un artiste humain ou d’une intelligence artificielle. L’objectif est qu’à terme le tableau généré par le premier algorithme réussisse à tromper le deuxième algorithme. C’est ainsi que les tableaux Edmond de Belamy et de la famille Belamy ont pu être considérés comme des œuvres d’art à part entière par Obvious. L’idée sous jacente est en effet que le grand public puisse apprécier l’œuvre.

Bien entendu, cette vente aux enchères alimente le débat : peut-on réellement considérer une toile créée par une intelligence artificielle comme de l’art ?
On revient ici sur l’analyse développée précédemment : les machines, et notamment les IA, créent, certes, mais ne sont pas en mesure de donner un sens à leurs réalisations.

Ce début d’année 2019 marque la continuité de l’intégration des IA dans le domaine de l’art avec la vente de l’installation imaginée par Mario Klingemann. Vendue 40 000 livres, l’œuvre Memories of Passersby 1 intègre deux écrans sur lesquels s’affichent des portraits réalisés par une IA. Les portraits affichés sont générés en temps réel par l’intelligence artificielle. La grosse différence avec le portrait d’Edmond de Belamy est que l’installation de Mario Klingemann comporte non pas un système GAN mais six. La machine intègre donc 6 fois plus d’artères que celle développée par le collectif français Obvious et a été développée grâce à l’analyse de nombreux tableaux datant du 17ème, 18ème et 19ème siècles afin de pousser l’IA à créer des œuvres et portraits originaux.

La place de l’intelligence artificielle dans la littérature

Le fonctionnement des IA dans le domaine de la littérature est semblable à celui développé pour amener les IA à créer de la musique ou des tableaux. L’IA se nourrit d’un flot immense de connaissances sur la littérature en analysant de nombreuses œuvres issues d’un ou plusieurs styles, des grands classiques aux œuvres moins connues du grand public. Certains chercheurs poussent même les IA à analyser les variantes de langues et de langages.
Il est ensuite possible pour l’IA de créer une œuvre en définissant plusieurs paramètres : un genre, un cadre spatio-temporel, des personnages, etc. En 2016, Samuel R. Dowman, de l’Université de Stanford et Luke Vilnis, de l’Université du Massachusetts Amherst, ont réalisé une expérience au cours de laquelle deux phrases étaient données à l’IA qui devait créer un poème liant la phrase 1 à la phrase 2. Le résultat est surprenant.

Toujours en 2016, lors du concours littéraire japonais Nikkei Hoshi Schinichi, on répertorie 11 auteurs robots sur les 1450 auteurs participant au concours. Le roman intitulé The Day a Computer Writes a Novel (« Le jour où un ordinateur écrira un roman »), co-écrit à 20% par une IA, est alors très bien accueilli par le jury du concours et est sélectionné après le premier tour. L’équipe en charge de ce projet a commencé par écrire les bases, la trame du roman, avant d’entraîner l’algorithme en lui fournissant un grand nombre de phrases afin qu’il crée l’histoire. Seule ombre au tableau pour les membres du jury : la description du personnage.

La même année, le 19 mai 2017, le marché littéraire chinois voit l’arrivée dans les librairies du premier recueil de poèmes écrit par une intelligence artificielle – une IA conçue par Microsoft. Ce recueil intitulé Sunshine Misses Windows (“Le soleil se languit des fenêtres”) est publié par Cheers Publishing, une maison d’édition basée à Pékin en Chine et comporte 139 poèmes originaux créés par l’IA.

En 2018, Ross Goodwin conceptualise l’œuvre considérée comme le premier roman écrit par une intelligence artificielle en embarquant l’IA, une caméra, un GPS, un micro et une horloge à bord d’une voiture afin de générer les données nécessaires à la création du roman intitulé 1 the Road (1 la route); un hommage certain au célèbre roman Sur la route de Jack Kerouac.

Une fois encore, la question des sentiments et de l’expression d’émotions est soulevée. Comment décrire une sensation que l’on n’a jamais connue ? Voilà qui est bien difficile pour les auteurs de manière générale, d’autant plus pour des intelligences artificielles qui n’ont pas de conscience. Cette épreuve, pour l’instant insurmontable pour une IA, entraîne des créations littéraires très factuelles qui peuvent être améliorées avec l’intervention d’humains – auteurs ou d’autres vocations. En effet, l’expérience de rédaction d’une œuvre littéraire par une IA ne pousse pas encore l’écriture dans une dimension sentimentale ou impliquée émotionnellement, mais décrit des éléments de manière très linéaire.

Alors que de nombreux théoriciens estiment que le chemin est encore long avant que les IA soient à même de créer des œuvres – notamment littéraires – aussi complexes, détaillées et sentimentalement impliquées que celles créées par les humains, ils voient tout de même une opportunité pour les auteurs d’améliorer leur structure, la qualité de leurs sources et l’efficacité de leurs récits. Une étude menée par the Future of Life Institute prédit que les IA seront en mesure d’écrire un best-seller d’ici 2050.

Les arts dans leur globalité sont des disciplines extrêmement subjectives. De ce fait, on ne peut affirmer ou infirmer de manière objective la légitimité de telle musique, tel tableau ou tel écrit en tant que création artistique. Certains considèreront l’œuvre en question comme artistique, d’autres non, que ce soit une question de goût ou d’acceptation.

Images : Shutterstock



Publié dans Divers.

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