30 mars 2018 731 mots, 3 min. de lecture

Nous vivons dans une technocratie : la technologie dicte les lois

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
La première édition de la conférence FAT 2018 (Fairness – Accountability – Transparency) a été ouverte à New-York par l’une des figures de proue du respect de la vie privée : la très influente et charismatique Latanya Sweeney. Dans sa keynote le […]

La première édition de la conférence FAT 2018 (Fairness – Accountability – Transparency) a été ouverte à New-York par l’une des figures de proue du respect de la vie privée : la très influente et charismatique Latanya Sweeney.

Dans sa keynote le Dr. Sweeney a montré comment la technologie façonne les comportements et l’évolution de la législation.
Elle s’est appuyée sur quelques exemples très parlants qui montrent clairement que les innovateurs ont toujours une longueur d’avance sur le législateur. Dans le monde actuel, mû par la technologie et les données, les questions qui en découlent n’en sont qu’encore plus cruciales.
Voici ce qu’écrivait Sweeney dans un article de 2014 :

« La conception et l’utilisation de la technologie se heurtent à des règles et préoccupations sociétales et à l’acceptation des utilisateurs. Les résultats comprenaient des lois révisées, des perturbations technologiques, des incohérences et un avenir incertain. ».

Premières photographies : pas de consentement nécessaire

Lorsque la photographie fut inventée et que les premières photos de personnes ont été prises, la photographie d’individus sur les lieux publics sans leur autorisation préalable a été jugée légale. C’est encore le cas aujourd’hui.
En vertu des lois américaines, vous pouvez prendre n’importe quelle photo sur le domaine public sans vous soucier de demander des autorisations préalables.

Une ancienne photo prise dans la rue (licence CC ; virtualwayfairer)

 

Premiers téléphones: consentement nécessaire pour enregistrer la voix

Graham Bell a inventé le téléphone en 1876. Lorsque les premiers téléphones sont apparus, les tribunaux ont jugé qu’un consentement préalable était nécessaire avant d’enregistrer une conversation. Ce principe vaut encore aujourd’hui. Un enregistrement n’est légal que si le consentement explicite a été recueilli auparavant.

Caméscope Sony : le premier appareil de masse enregistrant images et son

Le caméscope Sony a été lancé en 1983. Il s’agissait du premier produit de masse qui pouvait enregistrer à la fois le son et l’image. Cependant, il ne disposait pas de bouton « mute » permettant de couper le micro, ce qui rendait impossible le respect des lois obligeant à recueillir le consentement avant d’enregistrer la voix.

Le Sony camcorder, modèle 1983 (licence CC ; Asim Bijarani)

« La plupart des téléphones portables et des appareils photo numériques reproduisent le design du caméscope Sony de 1983 et enregistrent toujours vidéo et son sans offrir la possibilité de couper ce dernier. » explique Sweeney. La conception des smartphones n’a donc pas tenu compte du respect de la vie privée et l’utilisation du caméscope Sony a entraîné de facto une violation des lois sur le respect de la vie privée.
Ceci a conduit à quelques rares cas de condamnations en raison d’enregistrements sonores illégaux réalisés à l’occasion d’une prise de vue vidéo.

Conclusion

Avançons rapidement de 30 ans pour analyser la situation aujourd’hui.
En 2014, une loi a été adoptée en Pennsylvanie autorisant l’enregistrement d’images et de sons dans les bus scolaires (plus d’infos ici). On peut donc raisonnablement penser que des erreurs de conceptions (l’absence de fonction pour couper la prise de son) s’est perpétuée, généralisée, aggravée (il aurait été si simple de prévoir cette fonction dans les logiciels de nos smartphones). Les normes sociétales et, par conséquent, le droit ont été affectés.
La technologie semble toujours avoir une longueur d’avance sur les politiques et sur le législateur (le récent scandale Cambridge Analytica n’est qu’une preuve supplémentaire de l’inéfficacité des lois). L’utilisation généralisée de dispositifs technologiques et l’opacité de la collecte des données rendent les changements sociétaux qui en résultent imparables. C’est pourquoi un règlement comme le GDPR devrait être apprécié à sa juste valeur par les utilisateurs parce qu’il introduit pour la première fois un cadre unique (au niveau européen) et des amendes dissuasives qui devraient faire réfléchir les entreprises qui voudraient s’aventurer à des pratiques peu avouables. Le consentement et la le concept de « privacy-by-design » me semblent à cet effet particulièrement important. Ils obligeront les innovateurs à se soucier sérieusement des intérêts des utilisateurs.



Publié dans Innovation.

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