5 février 2018 910 mots, 4 min. de lecture Dernière mise à jour : 11 novembre 2023

L’histoire de la résistance aux médias : des premiers livres aux médias sociaux en passant par la télé

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Tout au long de l’histoire, les êtes humains ont fait preuve d’une résistance remarquable aux nouvelles formes de médias, qu’il s’agisse des livres, du cinéma, de la radio, de la télévision ou d’Internet. Aujourd’hui, notre dépendance aux médias sociaux conduit […]

Tout au long de l’histoire, les êtes humains ont fait preuve d’une résistance remarquable aux nouvelles formes de médias, qu’il s’agisse des livres, du cinéma, de la radio, de la télévision ou d’Internet. Aujourd’hui, notre dépendance aux médias sociaux conduit à une nouvelle forme de résistance. Un livre écrit par une spécialiste norvégienne du sujet, Trine Syvertsen, s’attache à retracer l’histoire de la résistance médiatique à travers les âges. Les surprises sont multiples. La version électronique du livre est gratuite et peut être téléchargée ici.

Voici quelques points saillants que nous a inspiré la lecture de ce livre ainsi que quelques réflexions sur l’évolution de la résistance aux médias.

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Phase 1: La résistance à l’écriture

Socrate a résisté à l’écriture parce qu’elle était muette, n’encourageait pas le dialogue et le débat et (peut-être mon argument préféré) favorisait l’oubli car la mémoire aurait été moins sollicitée.

Je trouve le parallèle absolument frappant avec a discussion qui de nos jours fait rage sur l’utilité de mémoriser certains informations puisque tout est de toute façon disponible sur internet. Certains prônent ainsi l’apprentissage de la méthodologie de recherche de l’information plutôt que l’apprentissage de l’information elle-même. Cet argument est évidemment fallacieux. Toute cette connaissance devrait plutôt stimuler l’apprentissage du raisonnement critique qui nous fait tant défaut et qui empêche notre société d’avancer comme l’ont montré avec brio les travaux de Dan Kahan.

Phase 2: Résistance à l’impression

Syvertsen décrit le passage de la culture orale à la culture écrite comme un changement culturel. La diffusion de la connaissance grâce à l’impression (Gutenberg) représentait une menace pour ceux qui avaient le monopole de la connaissance (les Rois et l’Église). Ceux qui s’intéressent à la littérature dystopique se se souviendront que dans « 1984 » de George Orwell c’est un livre, celui de Goldstein, qui sert à diffuser les idées libertaires auprès des dissidents.
La connaissance a toujours été considérée comme une source de pouvoir, mais la manière de la contrôler a changé. Aujourd’hui ce sont les algorithmes qui sont aujourd’hui accusés d’être instrumentalisés par les puissants pour servir leurs besoins, ce qui conduirait à la polarisation des opinions.

Phase 3: résistance au cinéma

Lorsque les projections cinématographiques débutèrent au tournant du XXe siècle, « les films ont été vus comme favorisant rapidement le processus de démoralisation; les films incitaient les gens à sortir de chez eux pour les entraîner dans un espace sombre et de tentation où leur était proposé un contenu de qualité médiocre et immoral » (Syvertsen 2017, 21).
Souvenez-vous en la prochaine fois que vous irez au cinéma pour voir la dernière production d’Hollywood.

Phase 4: résistance à la radio

Les mêmes inquiétudes au sujet de la question morale furent soulevées lorsque la radio se développa aux États-Unis. Contrairement aux radios européennes contrôlées par des organismes publics, les radios américaines étaient des entités commerciales. La radio y a été accusée d’être une menace pour la démocratie à cause de sa capacité à manipuler l’opinion en diffusant de fausses nouvelles. Comme quoi les « fake news » ne datent pas d’hier et la défiance des Américains vis-à-vis de leurs médias n’est donc pas nouvelle.
Vous souvenez-vous des premières « stations de radio libres » et de l’esprit de liberté qui les a accompagné ? Une époque bénie pour ceux qui ont participé à cette révolution médiatique permise par l’ouverture des fréquences radio. N’est-il dès lors pas ironique de voir comment les perceptions peuvent varier des deux côtés de l’Atlantique ?

Conclusion

En lisant les récits et anecdotes ci-dessus vous aurez sûrement fait quelques parallèles avec les nombreuses préoccupations sur le développement du numérique et la digitalisation des médias : propagation des « fake news », polarisation de l’opinion, balkanisation du web, bulles de filtres, addiction aux médias sociaux, perte de l’esprit de groupe … autant de sujets qui paraîtront, à ceux qui sont assez vieux pour s’en souvenir, très éloignés de l’enthousiasme qui accompagnait l’accès à l’internet dans les années 1990. Lorsque j’ai disposé de mon premier accès à Internet en 1996 l’enthousiasme était à son comble. Tout d’un coup on pouvait communiquer facilement avec la terre entière, échanger des idées, débattre et converser en temps réel sur les canaux IRC.

Une différence fondamentale me semble devoir être soulignée qui explique peut-être les dérives que nous constatons aujourd’hui : l’absence de régulation. Contrairement aux autres médias qui ont connu, plus ou moins vite, la mise en place d’une régulation, l’internet a évolué dans un relatif vide réglementaire.
Sans parler d’une réglementation aussi sévère que celle qui s’exerce en Chine peut-on considérer que l’expression sur le web se plie à certaines règles ? A mon sens pas. Le web a transféré le pouvoir de communiquer d’un petit groupe (les régents, les journalistes, les producteurs, les présentateurs, les acteurs) à la planète entière, transformant chacun et chacune en un producteur de contenu (le plus souvent médiocre) ne répondant à aucune éthique ni aucune règle.



Publié dans Recherche.

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