1 décembre 2022 1258 mots, 6 min. de lecture

Remplacer les protéines animales : vraie tendance ou bulle marketing ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Le remplacement des protéines animales par des équivalents végétaux dans l’alimentation était LA tendance forte de 2022 sur le marché de l’alimentation. Nous avons parlé dans cet article de la viande végétale, mais le désamour pour les protéines animales se […]

Le remplacement des protéines animales par des équivalents végétaux dans l’alimentation était LA tendance forte de 2022 sur le marché de l’alimentation. Nous avons parlé dans cet article de la viande végétale, mais le désamour pour les protéines animales se manifestait également ailleurs. Les substituts de poisson sont aussi plus nombreux ainsi que les substituts au fromage. Il reste toutefois à savoir si cette tendance perdurera ou bien s’il ne s’agit que d’une bulle.

Statistiques sur le marché des substituts végétaux

  • 24% des innovations présentées au SIAL 2022 concernaient des substituts végétaux
  • 6% des consommateurs se déclarent végétariens
  • 5% des consommateurs déclarent suivre un régime Vegan
  • 0,8% : le chiffre d’affaires des produits végétaux de substitution est orienté à la baisse en 2022 (chiffres pour les ventes en grandes surfaces en France)
  • dans un sondage de décembre 2021, seulement 9% des consommateurs européens attendaient plus d’alternatives végétales
  • les performances de vente des substituts végétaux sont inégales :
    • +2,6% pour les entrées végétariennes
    • -6,4% pour les yaourts végétaux
    • -2,1% pour les boissons et crèmes végétales

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Pourquoi les protéines animales n’ont plus la cote

Voilà déjà une bonne dizaine d’années que notre cabinet d’études de marché observe la montée en puissance des alternatives végétales. Le temps est toutefois révolu où la substitution des protéines animales rimait avec « steak de soja » puis « steak de légumes ». Désormais, les substituts végétaux ont fait un bond technologique qui est d’autant plus notable que l’édition 2020 du SIAL avait été annulée en raison du Covid.

Il n’aura donc échappé à personne que l’édition 2022 du SIAL a été marquée par une lame de fond : le végétal. Nous avons analysé la tendance de la viande végétale mais cela allait au-delà. Les innovations présentées touchaient également aux substituts de :

  • poisson
  • fromage

Nous identifions 5 phénomènes qui convergent pour soutenir le marché des alternatives aux protéines animales :

  1. conséquences écologiques de l’exploitation des ressources naturelles (notamment marines)
  2. dégagements de CO2 en relation avec l’élevage
  3. occupation des surfaces pour la culture destinée au bétail et concurrence avec l’alimentation humaine
  4. impact sur la santé de la consommation de produits animaux
  5. pollution et niveau de contamination des ressources animales

Pour autant, les statistiques 2022 montrent un marché aux performances contrastées.


Les alternatives végétales ne parviennent pas à s’extraire de la comparaison avec le produit auquel elles essayent de se substituer.



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Substituts aux protéines animales : tendance pérenne ou bulle ?

On constate en effet sur le premier semestre 2022 que les performances des alternatives végétales sont loin d’être mirobolantes. Sur la France par exemple, le marché des substituts végétaux a perdu 0,8% en valeur. Les performances restent toutefois contrastées en fonction des catégories en grande surface :

  • les entrées végétariennes progressent de 2,6%
  • les yaourts végétaux reculent de 6,4%
  • les boissons et crèmes végétales reculent de 2,1%

Le contexte actuel fait s’interroger un certain nombre d’acteurs de l’industrie agro-alimentaire sur le futur de ces produits. Le déferlement végétal auquel nous assistons va-t-il être pérenne ou ne s’agit-il que d’un phénomène épisodique ?

Pour répondre à cette question il faut tenir compte du contexte :

  • les substituts végétaux ont tendance à être plus chers que les versions « originales » ce qui, en période de crise, n’est pas forcément un atout
  • la période d’inflation actuelle est propice au retour vers une consommation de base, notamment les MDD (marques de distributeurs)
  • les distributeurs et les producteurs sont engagés dans une course à la rationalisation qui pourrait laisser les substituts végétaux sur le carreau

On a vu que la filière bio a subi de plein fouet le retournement de marché. Après l’envolée de 2020 pendant les confinements, le contrecoup a été très brutal en 2021. Cette situation est d’ailleurs assez similaire dans plusieurs pays européens.

Notre cabinet estime que la situation actuelle relève d’un épiphénomène. Une phase de consolidation forte suivra qui sera alimentée par :

  • le différentiel de prix
  • la tendance à simplifier l’offre en rayon
  • la qualité gustative des produits végétaux

Ce dernier facteur est essentiel car il conditionne l’adoption des produits sans protéines animales. Or, comme on le verra dans le prochain paragraphe, les alternatives végétales ne parviennent pas à s’extraire de la comparaison avec le produit auquel elles essayent de se substituer.


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Le marketing, talon d’Achille des substituts végétaux

Le marché des substituts aux protéines animales est marqué du sceau de l’ultra-transformation.

Paradoxalement en effet, l’industrie agroalimentaire mobilise les substituts végétaux pour créer des produits qui ressemblent le plus possible à leurs homologues originaux. Regardez par exemple « Fish Peas », un substitut de poisson qui concourait pour le prix SIAL de l’innovation (photos ci-dessous). Pour ne pas déboussoler le client, la société a été jusqu’à réutiliser le format et la couleur des boîtes de thon, mais également à imiter sa consistance.

fish peas

Fish Peas est un substitut de poisson dont le packaging ressemble à s’y méprendre aux boîtes de thon.

fish peas

Le nom du produit entretient la « confusion » avec l’original puisque le mot « fillet » est utilisé. L’apparence du produit, visible à travers le packaging, est également là pour rassurer le consommateur. Les substituts végétaux se vendent d’abord par leurs attributs visuels.

Le substitut végétal n’est donc actuellement qu’un « Ersatz ». Il ne parvient pas à s’imposer en tant que tel et c’est là le nÅ“ud du problème. En entretenant un référentiel dans l’esprit du consommateur, les producteurs se placent en position de faiblesse. 

Tout dans le marketing de ces produits conduit à la confusion des genres. Même une marque comme Huera, très en avance d’un point de vue marketing, commet cette erreur. Le visuel choisi est celui du référentiel, c’est-à-dire la vache.

viande végétale Heura

La marque Heura propose de la viande végétale et utilise la vache dans ses visuels.


La palme revient toutefois à Flexiterráneo, un produit qui n’a pas su choisir son camp car il propose 50% de viande et 50% de légumes (voir photo ci-dessous).


Conclusion

Une tendance forte s’est développée ces dernières années pour favoriser le remplacement des protéines animales dans l’alimentation humaine. De nombreuses sociétés ont lancé des produits pour surfer sur cette tendance. Peu survivront toutefois. D’une part la crise financière impose un contexte peu favorable à ces alternatives plus chères. D’autre part, ces produits n’arrivent pas à vivre sans se comparer à leurs « référentiels » (viande, poisson, lait).

Les années 2023 et 2024 devraient donc voir une consolidation forte de ce marché avec la disparition des acteurs ayant les propositions de valeur les plus faibles.

el pozo flexiterraneo

Mention spéciale pour ce produit qui a tout faux d’un point de vue marketing puisqu’il ne choisit pas son camp : ni vegan, ni 100% carné, il adopte une bien mauvaise différenciation.



Publié dans Innovation.

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