27 septembre 2023 1376 mots, 6 min. de lecture

Les 3 raisons qui poussent notre société vers la décivilisation

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
De nombreuses personnes partagent le sentiment que nos Sociétés sont en voie de décivilisation, c'est-à-dire que leurs règles de fonctionnement seraient en voie de déliquescence. Cela se traduiraient notamment par l'augmentation de la violence et des incivilités. Qu'en est-il vraiment ? Dans cet article vous découvrirez des chiffres édifiants et en saurez plus sur les 3 causes de cette décivilisation.

Le monde n’a jamais été aussi polarisé, la violence aussi ressentie. Que s’est-il passé ? Pourquoi sommes-nous en voie de « décivilisation » dans nos contrées occidentales ? L’analyse est complexe car les indicateurs objectifs de violence sont contradictoires et les raisons multiples. Dans cet article, je développe l’idée d’une société qui est passée d’un mode relationnel à un mode transactionnel, influencée par la matérialité des réseaux sociaux.

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Les statistiques de la violence ordinaire (France, période 2000-2021)

  • +96,2% : évolution du nombre de délits envers les animaux
  • +582% : augmentation des violences, mauvais traitements et abandons d’enfants
  • +20,9% : évolution des outrages envers les dépositaires de l’autorité et de la force publique
  • +142,7% : évolution des violences envers les dépositaires de l’autorité et de la force publique
  • -1,2% : diminution des incendies de biens privés
  • +21,6% : augmentation des incendies de bien publics
  • +68,8% : évolution du port ou de la détention d’armes prohibées
  • +212,1% : évolution des tentatives d’homicides
  • -7,5% : évolution des homicides

Les homicides diminuent partout … sauf aux États-Unis

Dans l’échelle de la violence, l’homicide est sans doute ce qu’il y a de pire. A contre-courant du sentiment commun, cet indicateur de la violence est en fait constante depuis des décennies. En France par exemple, pays où la détention d’armes à feu est strictement contrôlée, les homicides ont baissé de 7,5% entre 2000 et 2021. D’un peu moins de 1000 en 2000, ils sont passés à 878 en 2021.


violence verbale

La violence ordinaire, symptôme de la décivilisation

La décivilisation est la plus ressentie au travers des incivilités du quotidien. Il s’agit par exemple des gestes et attitudes agressives dans les situations banales de la vie courante. Tout échange est désormais susceptible de dégénérer : au restaurant, dans un commerce, au supermarché. Même ceux qui ont pour vocation d’aider les autres (pharmaciens, professions médicales, enseignants) se retrouvent en première ligne de cette violence ordinaire.

Pour continuer sur l’exemple français, les chiffres des différentes organisations professionnelles sont sans appel :

  • 3,7% des maires français ont démissionné
  • les plaintes pour violences contre des élus ont augmenté de 32% en un an
  • à l’hôpital, les violences étaient en hausse de 23% en 2022

Il est par ailleurs intéressant de souligner que ce sentiment de décivilisation n’est pas nouveau. Dans un article publié dans la revue Nature, une équipe de chercheurs a montré que la perception du déclin moral n’était pas nouveau. Cette perception n’est d’ailleurs pas l’apanage des « vieux ». Les jeunes le perçoivent de la même manière, et d’autant plus d’ailleurs que la période d’observation est longue.

Examinons les éléments factuels qui nous ont amené, en 2023, a parlé de décivilisation.


concept de causalité

Les 3 causes de la décivilisation

J’ai été beaucoup influencé par la lecture de l’archipel français du sociologue Jérôme Fourquet. Il y décrit une société qui se fragmente. Cette fragmentation est le moteur de la décivilisation que nous observons. Dans un récent entretien, il en détaille les mécanismes.

Hétérogénéité culturelle

Suivant les travaux de Norbert Elias, les règles de civilité et de respect s’appliqueraient plus difficilement dans un environnement hétérogène. En d’autres termes, les politiques d’immigration non assimilatrices font le lit de ces incivilités. Elles sont un symptômes d’une fragmentation culturelle, elle-même alimentée par un manque de ciment éducationnel.

Pertes des repères éducationnels

Jérôme Fourquet parle d’une dégénérescence de « l’intériorisation des mécanismes d’autocontrôle ». La faute est à chercher du côté de l’éducation déficiente de familles éclatées (séparation, monoparentalité) où les valeurs et la gestion des frustrations ne sont plus inculquées. Les institutions telles que l’école et l’Église se sont également vu reléguer au second plan dans l’éducation à la morale. Sans ces cadres, certains jeunes grandissent sans savoir comment gérer leurs frustrations (voir à ce sujet ci-dessous mon opinion sur le rôle des réseaux sociaux).

Maîtrise du langage

Le dernier argument de Jérôme Fourquet est plus inattendu mais tout aussi pertinent. Une moins bonne maîtrise de la langue empêche de verbaliser ses frustrations. Elles s’expriment donc plus facilement dans la violence.

 

A ces 3 causes bien établies, j’en ajouterai une quatrième : les réseaux sociaux.


Facebook, le premier réseau social, était né de la volonté de relier les individus. Les réseaux sociaux de 2023 ne visent plus qu’à les comparer entre eux.



Le rôle des réseaux sociaux : de la société relationnelle à la société transactionnelle

Les réseaux sociaux ont apporté l’instantanéité de l’information. C’est à peu près le seul point positif que je leur vois. Pour le reste, ils ont été une plaie. Ils ont non seulement permis la création de chambres d’écho renforçant la polarisation des opinions, mais leurs algorithmes de recommandation conduisent également à fragmenter notre capacité de concentration et notre attention. A titre d’exemple, selon un récent sondage plus de 50% des utilisateurs de TikTok considèrent comme « stressantes » les vidéos dépassant une minute.

Les réseaux sociaux sont directement responsables de l’isolement des individus, qui voient dans le fil continu de leurs recommandations une manière de s’affranchir des relations physiques qui sont le creuset de toute société. Un sénateur californien ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui avait tenté de faire interdire ces recommandations infinies.

Facebook, le premier réseau social, était né de la volonté de relier les individus. Les réseaux sociaux de 2023 ne visent désormais plus qu’à les comparer entre eux. Ce mécanisme de comparaison efface lentement l’aspect relationnel pour laisser place à une mécanique transactionnelle.

En promouvant la matérialité, les réseaux sociaux conduisent les individus à se comparer entre eux et à développer des sentiments d’envie et de jalousie. Sans aller jusqu’aux suicides d’adolescents complexés par les images que leur renvoient les réseaux sociaux, il faut comprendre l’impact sur la société de consommation. La récente explosion du marché des montres de luxe est par exemple directement liée à la création d’une bulle spéculative entretenue sur Instagram. YouTube a également vu l’explosion de vidéos de marchands de montres de luxe se mettant en scène dans leurs activités quotidiennes.

Ce mécanisme permanent de comparaison ne peut à terme que développer frustrations, jalousie … et violences. Pour celui qui a peu, comment gérer les frustrations engendrées par l’exposition des objets et marques mis en avant sur les réseaux sociaux ? Lors des récentes émeutes en France, les casseurs ne s’y sont pas trompés. C’est avec « des marques » qu’ils ressortaient en priorité des magasins pillés. Les magasins d’articles de sport figuraient en 2ème position des commerces les plus pillés.


banner conclusion

En conclusion

La décivilisation n’est pas un phénomène instantané. Il s’agit d’une évolution lente, sur plusieurs générations, influencée aussi bien par des facteurs culturels, socio-économiques que technologiques.

Nous vivons une époque où toute une partie de la population a perdu ses repères. Laissée sur le bord de la route mais exposée aux richesses des mieux lotis, elle développe un ressentiment qui s’exprime aussi bien dans les urnes (populismes de gauche et de droite) que dans la violence quotidienne. Un des moteurs de ces frustrations restent les réseaux sociaux. Tout le monde y a accès, tout le monde y perd son temps, et tout le monde peut y voir les richesses (feintes ou réelles) affichées par des personnes en mal d’attention. Malheureusement, c’est la nature humaine que d’être attiré par le sensationnel. Or, le mécanisme de récompense des réseaux sociaux (les likes) favorise la course au sensationnel. Il est donc normal que s’auto-entretiennent ces frustrations et la violence qu’elles génèrent.



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